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Accident de désaturation : comment arrive t-il ?

Posté le 10/02/2020

L’accident de désaturation (ou accident de décompression, ou ADD) est l’une des phobies du plongeur. C’est un accident qui peut-être évité dans certains cas mais qui survient aussi sans que l’on ne comprenne pourquoi.
J’ai eu la chance de visiter le caisson hyperbare du CHU de Bordeaux et de pouvoir discuter avec le professeur Vargas, réanimateur et chef d’unité de médecine hyperbare. Ce dernier nous a amené beaucoup d’éclaircissements que j’ai trouvé intéressant de noter afin de pouvoir partager avec vous.

Image de couverture de l'article Accident de désaturation : comment arrive t-il ?

Il y a entre 300 et 400 accidents liés au caisson hyperbare en France par an : dont 53% ADD, 15% barotraumatismes graves, 5% oedèmes aiguë pulmonaire (ou oedèmes pulmonaire d'immersion). Le caisson hyperbare de Toulon par exemple récupére un à deux cas par jour pendant l’été , celui de Bordeaux en gère environ 20 à 25 par an.
On arrive généralement au caisson hyperbare parce que l’on pense avoir fait un accident de désaturation. Mais qu’est ce qu'un accident de désaturation ?

Rappel théorique de l’accident de décompression

A la surface

Quelques choses à savoir :
- l’air que l’on est respire est composé à 20% d’oxygène et à 80% d’azote, il y a en fait 1% de gaz rare mais on en tiendra pas compte pour les explications.
- la pression ambiante à la surface est de 1 bar (ou ata)
- lorsque l’on respire, l’air passe dans nos poumons puis dans notre sang via la membrane alvéolo capillaire. C'est ce qui permet à l'oxygène d'aller alimenter nos cellules.

La composition de l'air alvéolaire et de l'air que l'on respire est différente. Au moment où l'air passe dans la membrane, les compositions de chaque air s'équilibrent en faisant passer leur gaz de l'un vers l'autre. Le côté ayant la pression la plus importante passe dans celui ayant la pression la moins importante jusqu'à équilibre.
Dans cette membrane alvéolo capillaire, l'échange se fait alors de cette façon :
- l'O2 passe en quantité du poumon aux capillaires sanguins
- l'azote (N2) passe très très peu du poumon aux capillaires sanguins
- le CO2 passe des capillaires sanguins au poumon afin d'être rejeté.

Les différentes composition de l'air dans la membrane alveolo capillaire

Schéma représentant les différentes composition entre l'air respiré et l'air alvéolaire
Source : Cours de N4 (CODEP 33)

Lorsque l’on descend

En allant à 30m par exemple, la pression est de 4 bar. L’air que l’on respire est donc 4 fois plus dense qu’à la surface.
L’augmentation de la pression entraine le passage des gaz de leur forme gazeuse à leur forme liquide, on appelle ce phénomène la dissolution.
Quand il arrive jusqu’à la membrane alvéolo capillaire des poumons, l’azote est donc présent a une pression beaucoup plus importante qu'à la surface. Il va passer la membrane et se rendre dans le sang.

L’azote va alors se mouvoir dans le corps grâce à la circulation sanguine et se retrouver sur différents tissus du corps jusqu’à ce que ceux-ci arrivent à saturation (lorsque la quantité de gaz dissoute est égale à la pression de gaz régnant sur le liquide... oui il faut relire cette phrase ;)). La saturation se fait plus ou moins vite selon le tissu dans lequel l’azote se sera répandu (cerveau, muscle, os, etc.), on regroupe ces tissus en compartiment aux "propriétés identiques" pour faciliter les calculs de désaturation.

Chemin de l'air dans la membrane alvéolo capillaire

Schéma représentant le chemin de l'air dans la membrane alvéolo capillaire
Source : Cours de N4 (CODEP 33)

Lorsque l’on remonte

En remontant, la pression va diminuer et les gaz étant à l’état liquide vont repasser à l’état gazeux petit à petit pour au final se faire disperser : c’est la désaturation. Ce process est assez long et sa rapidité dépend des tissus/compartiments dans lesquels l’azote s’est intégré.
De plus, nous sommes toujours en profondeur même si l’on remonte, la pression est toujours élevée. On finit par avoir une tension en azote supérieure à celle que l'on respire : on parle de sur-saturation en azote . Si jamais on remonte trop vite, l’azote qui est en train de se disperser à l’état gazeux va prendre la forme de grosses bulles, c’est la sur-saturation critique.

Saturation en azote lors d'une plongée

Schéma représentant la sous-saturation et la sur-saturation en azote
Source : Cours de N4 (CODEP 33)

Nous sommes ici dans le cas d’un accident de désaturation. Comme son nom l’indique, la désaturation ne se fait pas normalement. Des bulles sont présentes dans le corps et peuvent faire des dégats variés :
- obturer de façon totale ou partielle un vaisseau : la bulle bouche le passage, le sang circulera moins bien, l’oxygène n’est plus amené vers certaines parties du corps (= ischémie)
- comprimer un tissu sur une paroi dure ou non : le sang circulera moins bien ou le nerf sera comprimé, ce qui peut arrêter un flux d’informations ou provoquer des douleurs
- provoquer une lésion sur un tissu

Bref pour faire simple, on peut finir en bégayant, en boitant, avec des pertes de mémoires, mort, etc. Autant éviter.

C'est pour cette raison que l'on fait des paliers. Cela permet de diminuer la sur-saturation et ainsi éviter une sur-saturation critique !

Aller plus loin

C’est donc le fonctionnement d’un ADD, mais on peut aller un peu plus loin, je vous donne du coup quelques informations récupérées suite à l’échange avec le professeur Vargas :

Comment se forment les bulles ?

Il n’y a à priori pas la réponse exacte à cette question, mais on s’en approche de plus en plus.
On sait aujourd'hui que les nano bulles se forment par cavitation… Euhh, c’est quoi la cavitation ?

Il est possible de changer l’état d’un gaz par la chaleur, par exemple, l’eau se transforme en gaz à 100°C. Mais il est également possible de changer cette nature par sa vitesse de déplacement.
La loi de Bernoulli nous dit en effet que plus on accélère un liquide, plus sa pression diminue. Or, si la pression diminue, on a vu plus haut que le liquide passe à l’état gazeux. C’est un peu comme l’hélice de bateau qui crée des bulles lorsqu’elle tourne sous l’eau. Ou mieux : lorsque tu colles tes mains puis les écartes en plongée pour créer un rond d’air pour t’amuser.
Du coup, même chose dans notre corps. Les tissus présentent des masses adhésives qui se séparent lors d’un effort et créent des bulles lors de ce déplacement. On appelle ça la tribonucléation dans le domaine hyperbare. Et ce serait l’origine des nano bulles présentes dans notre corps.

Qu’est-ce que cela nous apprend ?

C’est le mouvement qui crée les bulles. Moins on bouge, moins on a de chances de faire un ADD ;).
Cela a été également montré par la NASA. Les astronautes ont une pression 3 fois moins importante dans leur combinaison que dans leur navette (qui est à pression atmosphérique). Cette diminution de pression devrait engendrer des bulles, mais leurs faibles mouvements n’entrainent que de faibles efforts musculaires. Pas de problème de bulles du coup.
D’autres tests ont été effectués et ont montré que les personnes faisant des efforts musculaires avaient plus de bulles, là où les individus n’ayant pas bougé n’avaient que des bulles silencieuses. Les risques sont donc moindres.

L’autre question : pourquoi ces bulles persistent ?

Pourquoi les bulles n’éclatent pas dans notre corps ?
A priori celles-ci seraient résistantes car elles s’accrochent sur des zones hydrophobes autour des vaisseaux et se protègent en s’entourant de graisses.
Autre point, qui expliquerait que l’on est plus sensibles aux ADD avec l’âge : les spots hydrophobes dans les capillaires augmentent avec l’âge.
Cet élément a été prouvé, mais aujourd’hui les experts ne savent pas si c’est la seule raison.

Tout n’est pas facile niveau accident de désaturation et aujourd’hui les scientifiques n’ont pas toutes les réponses à nos questions.
Cependant, ils ont des informations qui nous concernent directement dans notre pratique de la plongée et je vous invite à vous rapprocher d’un organisme permettant d’aller visiter un caisson hyperbare et de parler à un vrai spécialiste. J’en profite pour remercier le CODEP 33 qui nous a permis de faire cette sortie.
Ce que je retiendrai de ce premier point que je vous fais, c’est qu’il y a deux éléments qui crée l’ADD : la présence d’azote et les mouvements. Evitez donc de faire trop de mouvements en plongée et si possible plongez au Nitrox (de l'air enrichi en oxygène, donc possédant moins d'azote, ce qui fera moins de bulles). Je ferai d’autres articles sur le sujet, car il y a d’autres moyens de mettre toutes les chances de son côté pour ne pas devoir aller au caisson !

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